Il y avait deux raisons principales qui incitèrent les anglais à fonder la « Rugby Football Union » le 26 janvier 1871 : un problème chronique et un problème immédiat.
Le problème immédiat apparait à l’occasion d’un défi lancé dans les journaux The Scotsman d’Edimbourg et le Bell’s Life de Londres le 8 décembre 1870 et signé par les capitaines de cinq clubs écossais, invitant toute équipe « sélectionnée en Angleterre » à participer à un match à 20 joueurs de part et d’autre selon les règles de Rugby [1].
L’Angleterre vient en effet de battre l’Écosse le 18 novembre au Kennington Oval de Londres par un but à zéro au cours du 3e match international de l’histoire joué selon les règles de la Football Association [2]. La victoire anglaise est restée en travers de la gorge des écossais : ils estiment que cette équipe d’Écosse n’en était pas vraiment une car un seul joueur évoluait au pays et surtout, ils pensent que le match aurait dû être joué selon les codes du Football de Rugby, un sport beaucoup mieux implanté dans les écoles et universités d’Écosse [3].
Un anglais doit donc relever le défi et choisir l’équipe [4].
D’autre part, le problème chronique, c’est l’énorme appendice des lois du jeu de rugby constitué d’une grande variété de règles en usage dans tout le pays.
Des règles existent bien pour dire que le « hacking » ne doit pas se faire au-dessus du genou, ni de derrière, ni avec le talon, et que les plaques saillantes sur les chaussures ne sont pas autorisées ; mais chaque club a sa propre version de tout cela, et certains se sont dispensé de n’en respecter aucune. D’autres variantes abondent, alors il est grand temps de créer un ensemble de règles ou de lois (les termes étaient utilisés de façon interchangeable à l’époque).
En 1845, un premier recueil de règles de la Rugby School avait bien été édité mais elles étaient spécifiques à l’école et à son terrain « Big-Side ».
Auparavant, dès 1839 à l’Université de Cambridge, un ancien élève de la Rugby School, Albert Pell, avait formé une équipe de rugby. Au cours d’un match des « Old Rugbeians » contre les « Old Etonians » [5], une controverse à propos de l’utilisation des mains des Rugbeians conduisit les représentants (anciens élèves) des principales Public Schools (Rugby, Eton college, Harrow, Marlborough, Westminster et Shrewsbury) à se réunir pour élaborer les « Cambridge Rules » en 1848.
Ces règles constitueront la principale source d’inspiration des Lois du jeu édictées en 1863 par la Football Association (FA) avec interdiction à la fois de courir avec la balle en main, et de pratiquer le « hacking », c’est-à-dire frapper les jambes d’un joueur comme un moyen de le tackler [6].
Francis Maule Campbell du Blackheath Football Club, alors trésorier de la FA, déclara que le « hacking » était un élément essentiel du football : « Sans le hacking, vous supprimerez du jeu le cran et le courage et je me fais fort de vous amener un grand nombre de Français [sic] qui vous battront après une seule semaine d’entraînement... » L’interdiction du « hacking » incita Blackheath à se retirer lors de la sixième réunion de la FA pour pouvoir continuer à pratiquer « son » football, ce qui officialisa la scission entre les deux jeux [7]. D’autre clubs suivent Blackheath, notamment le Richmond Football Club. Les affrontements semestriels avec Richmond, le plus ancien affrontement régulier entre deux clubs de l’histoire du rugby, sont instaurés le 2 janvier 1964 [8].
Le 4 décembre 1870, 4 jours avant le défi lancé dans les journaux par les Ecossais, Edwin Ash de Richmond et Benjamin Burns de Blackheath, lancent un appel dans le Times pour créer des règles communes au jeu de type « Rugby » [9]. Le 26 janvier 1871, 21 clubs se réunissent au restaurant « Pall Mall » à Londres [10] et créent la Rugby Football Union (RFU) [11].
La RFU attribue le travail de rédaction des règles à trois « Old Rugbeians » : Algernon Rutter (Richmond RC), le nouveau président élu, Edward Carleton Holmes (Richmond RC), et Leonard James Maton (Wimbledon Hornets), tous trois avocats. Les progrès sont lents, et ils sont loin d’être terminés lors de ce premier match international de rugby Écosse - Angleterre du 27 mars 1871 [12].
Ce n’est pas important : le match se joue à Édimbourg, et donc essentiellement selon les règles écossaises [13]. Les deux parties doivent s’entendre sur certains points avant le début du match, tout comme c’est le cas lors des matchs ordinaires de clubs.
Accidentellement, Maton se casse la jambe en jouant au rugby ; les autres lui promettent alors de l’approvisionner en tabac, pendant qu’il est au repos forcé, à condition qu’il finisse un premier brouillon. Il le fait dans les cabinets juridiques de Holmes et le caractère légal du résultat se reflète dans des détails tels que les tournures calligraphiques à la fin de certaines lignes - pour dissuader tout faussaire qui pourrait essayer d’insérer quelque chose.
Il y a aussi diverses notes dans les marges, ratures et modifications, certaines signées par d’autres membres du comité. Dans l’ensemble, cependant, c’est le travail d’un seul homme. La base est encore le jeu comme pratiqué à l’école de Rugby, bien qu’avec un certain nombre de différences. Par exemple, le « hacking » et le « tripping » (croche-pied) ont été supprimés ; le principe du tenu, qui oblige un joueur au sol à lâcher le ballon, est mis en place ; et le processus tortueux pour amener le ballon permettant un essai a été simplifié et ressemble à ce que nous connaissons maintenant.
Les premières éditions et une copie formelle des premières lois ont disparu. La seule version existante de ces lois de 1871 est son manuscrit original avec les commentaires ajoutés par les autres membres du sous-comité [14].
Nous savons que les lois furent acceptées par le comité complet le 22 juin 1871, et entrèrent en vigueur lors d’une assemblée générale spéciale deux jours plus tard, à temps pour la nouvelle saison. Elles furent publiées en août 1871 dans le journal « the Sportman » [15].
Les écossais quant à eux créent la Scottish Football Union en 1873 [16], qui reconnaît les règles de la RFU. Malgré tout, les contestations persistent sur des points de règles lors des matchs, si bien que la RFU permet en 1874 d’avoir recours à un arbitre.
Par la suite, la RFU va progressivement adopter d’autres règles pour améliorer le jeu, notamment la suppression de certains coups dangereux, l’autorisation de la passe à la main en 1875 [17] et la diminution du nombre de joueurs de vingt à quinze en 1877. C’est aussi en 1877 que le ballon de rugby devient oblong.
En 1879, les irlandais fondent la Irish Rugby Football Union et les gallois la Welsh Football Union en 1880 [18].
Lors du Tournoi britannique de 1884 [19] et suite à une interprétation contestée d’un point de règlement [20] lors du match Angleterre-Écosse, des dissensions éclatent entre les deux nations.
En 1885, les Écossais refusent d’affronter les Anglais, et le Tournoi ne donne aucun vainqueur officiel. À l’initiative de la fédération irlandaise, des représentants des quatre nations britanniques se rencontrent à Dublin en 1886 pour discuter de la création d’un organisme international régissant les règles du jeu de Rugby. Les anglais refusent d’y être représentés avec un nombre de voix égal aux autres fédérations. Ils ont créé le jeu, édicté ses premières règles, et ils disposent d’un plus grand nombre de clubs : il est hors de question pour eux d’abandonner leur pouvoir sur la règle [21].
L’International Rugby Football Board (IRFB) est créé regroupant l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande sans l’Angleterre qui ne participera pas au Tournoi en 1888 et 1889. Elle accepte finalement la suprématie du Board en 1890 et rejoint l’organisation [22].
Chaque Union a cependant son propre ensemble de lois pour leurs matchs domestiques [23]. Ce n’est qu’à partir de 1930 que tous les matchs seront disputés conformément aux lois de l’IRFB.
Les lois du Jeu ont beaucoup évolué depuis 1887, par exemple la manière de décompter les points, la possibilité de remplacer des joueurs, ou encore l’apparition des cartons jaunes et rouges, et des modifications continuent d’être apportées chaque année.
L’IRFB devient l’IRB en 1998 puis « World Rugby » depuis 2014.
La transcription ci-dessous des lois de 1871 (traduites de l’anglais) est tirée du site RugbyRefs qui présente les travaux de l’arbitre anglais Peter Shortell. Elle combine l’original et les amendements pour ce qui est censé être la version finale approuvée le 22 juin 1871 par le Comité de la RFU et le 24 juin par une assemblée générale extraordinaire.
Les lois essentiellement les mêmes qu’aujourd’hui sont en bleu (près de la moitié d’entre elles). Il s’agit évidemment d’une décision très subjective, et n’est faite que pour une orientation approximative.
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