Christian Billerach : « Condition physique, défense, paquet d’avants. Ce sont les bases d’une équipe ».

L’interview de Bibi

dimanche 4 octobre 2015 par Jean-Luc

Forum de discussion en bas de page.

Christian Billerach, dit « Bibi » est une des grandes figures de l’histoire de l’A.S. Lagny.
Entraîneur puis président pendant 10 ans de 1982 à 1994, le club passe de la 3e série aux portes de la Fédérale grâce à sa science du jeu, sa rigueur et son implication totale.
Je l’ai revu avec plaisir il y quelques mois pour qu’il me prête ses archives.
J’en ai profité pour lui poser quelques questions.

Christian, peux-tu te présenter pour les plus jeunes ?
Je suis originaire de Paris où j’habitais dans le 18e. Mon père était un catalan de Thuir. Il jouait au rugby dans le club de Basse-Seine, aux Mureaux. C’est ainsi que j’ai commencé le rugby vers 13 ans. J’avais un copain, Jean-Pierre Sahuc qui habitait dans mon quartier. Son père entraînait à l’U.S. Métro. Je l’ai donc suivi. On allait s’entrainer en prenant le métro jusqu’à la Croix de Berny. C’était direct de la station Château-Rouge en bas de chez moi. J’ai joué là-bas jusqu’à 29 ans comme pilier la plupart du temps.
Par la suite, mon copain Sahuc a déménagé à Rosny-sous-Bois. J’ai été joué avec lui à Rosny encore quatre ans sérieusement puis 3 ans en folklos jusqu’à 37 ans environ. C’est à cette époque que je suis arrivé à Lagny.

Pourquoi venir à Lagny ?
Par mon fils Stéphane qui a commencé le rugby à Lagny. On habitait à Vaires, c’était le club le plus proche de chez moi.

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1988 - Voiron - Diplome 3e degré

Quel constat à ton arrivée ?
Quand je suis arrivé vers 1982-83, Lagny était en mauvaise posture. A l’époque, le président Guy Lirola se bat pour maintenir le club. Il n’y a plus grand chose en seniors qui jouent en 3e série après être descendu de première série en deux ans.
Les jeunes, eux commencent à émerger avec des gens qui s’en occupent bien comme Jean-Marc Beauchet, Alain Le Moteux, Gérard Souletie ou Claude Chautard que je connaissais du Métro. Tous ont leurs fils qui jouent à Lagny. L’ambiance est assez familiale mais ils se plaignent régulièrement de ne pas avoir assez de monde pour entraîner.
J’ai donc commencé par entraîner les petits. On a trouvé que c’était bien et on m’a encouragé à continuer. C’est comme ça que j’ai mis le « pied dans l’engrenage » (sic) en entraînant les seniors pour la saison 1983-84 et en passant les diplômes d’entraîneur à Voiron en 88.

Les méthodes mises en place ?
Avoir un entraînement plus rigoureux au moins deux fois par semaine et faire quelque chose de physique, pas seulement jouer à la « baballe ». Première des bases c’est faire du 30 30, 1mn, 30 secondes, essayer de mettre en place les fameux 2 minutes ou 1 minute et demie autour du terrain avec un chronomètre en maîtrisant les temps d’efforts et les temps de récupération. Ce sont des méthodes qui sont peut-être un petit peu archaïques mais pour moi, sans condition physique, on ne peut pas jouer au rugby. Et ces méthodes, je les ai vécues au Métro où avant de toucher le moindre ballon, on partait dans le Parc de Sceaux pour courir 50 minutes. J’ai donc mis en place à Lagny ces méthodes toutes bêtes.
Cela a d’ailleurs payé puisque les gars ont trouvé une juste récompense à leurs efforts en gagnant des matches. Rien à voir avec ce qu’ils vivaient depuis 3 ans où ils descendaient d’année en année, 1re série, 2e série, 3e série.
Dans le même temps, on essayait de se retrouver pour manger après les entraînements à Chanteloup. On faisait de bonne soirée, en chantant. D’où une bonne ambiance, et les résultats qui arrivent sans « se prendre la tête », avec dès cette première saison 83-84, le challenge Sicard qui est remporté par les seniors.
Le fait de participer aux phases finales du championnat de France va créer une dynamique. Depuis près de dix ans, les seniors de Lagny n’y avaient pas participé. Pour la saison 1984-85, nous battons Dampniat en 1/4 de finale et nous accédons à la 1/2 finale du championnat de France, contre Montréal-sur-Aude. On sera battu par le futur champion de France 3e série.
Et par la suite, nous serons abonnés aux phases finales en montant pratiquement tous les ans de série : 1985-86, 1/8e de finale contre Basse-Goulaine, montée en 1re série ; 1986-87, 1/4 contre Montargis ; 1987-88, maintien en 1re série ; 1988-89, 1/32e contre Charbonnières-les-Varennes, montée en Promotion ; 1989-90, 1/8e contre Mantes-la-Jolie, montée en Honneur ; 1990-91, 1er match de montée en 3e Div. perdu contre contre Pont-Audemer ; 1991-92 et 1992-93, maintien en Honneur ; 1993-94, 2e match de montée en 3e Div. perdu contre Annemasse.

En 1989, tu deviens président...
J’essaie de mettre en place une certaine homogénéité dans le jeu dans toutes les catégories en partant d’un postulat de base : condition physique, défense et paquet d’avants. Ce sont les bases d’une équipe.
Pour le pack, à Lagny on a toujours été assez bon devant, pas forcément avec des gabarits mais toujours solidaires, assez liés.
La défense, parce que si les 3/4 sont des « passoires », c’est pas la peine.
La condition physique qui est la base de tout.
A partir de là, on doit faire un rugby simple et convivial. De toute façon, au niveau où nous jouons, on ne va pas transformer les joueurs. On fait avec les joueurs qui ont leurs propres ressources, le tout c’est de s’adapter à eux. Où est-ce qu’on peut s’améliorer ? Sur l’esprit qui se travaille et la condition physique. Après les qualités athlétiques des joueurs sont ce qu’elles sont... Mesurer 1m85 c’est pas comme mesurer 1m65... Mais dans le rugby, on peut toujours trouver, avec des valeurs d’amitié, des joueurs utiles dans un collectif, si ils se « dépouillent », s’ils jouent pour les autres.
Cela dit, il y a eu également quelques concours de circonstances avec la rentrée de bons joueurs qui nous ont apporté un « petit plus ». Je pense par exemple à Gilles Thuault, arrivé de Vincennes grâce à Alain Le Motteux qui lui avait trouvé un job, ou encore Daniel Cockerell, un américain qui travaillait chez Disney.
Et puis on avait les Pierre Bonnard, Savouret, Besana, Laurent Blond, autant de joueurs qui avaient quelques ressources... Et qui ont permis à la mayonnaise de prendre. Stéphane Besana par exemple jouait quand le club était en 3e série... C’est donc bien qu’il y a eu un message qui est passé.

Au delà des résultats des seniors, construire une école de rugby était important. Il y en avait qui s’en occupait déjà comme Beauchet par exemple. D’autres sont arrivés comme Pascal Coger qui s’est beaucoup investi pour l’école de rugby. Mais il fallait qu’il y ait une continuité sur les cadets et les juniors pour finir par les seniors qui sont l’aboutissement de tout club. Cette continuité n’existait pas et elle a été mise en place au cours de la décennie 85-95 avec l’aboutissement par les cadets qui ont fait les phases finales du championnat de France cadets deuxième catégorie c’est à dire les Teulière A actuels avec le summum à Bellac (87) contre Villefranche de Lauragais qui nous ont battus 18-8 en 1/2 finale (battus à leur tour en finale par Pamiers).
Dans le même temps, pendant 3 ans, j’ai fait fonction de cadre technique du département.

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Les Coralies en 1992

Après Lagny , tu pars à Noisy-le-Grand en 95.
Malgré cet aboutissement, on n’a jamais eu une très bonne écoute de la ville. On faisait beaucoup d’efforts pour le rugby, c’était notre passion. Il a fallu se battre pour essayer de faire connaître le rugby à Lagny, par exemple en participant 3 ans d’affilée aux fêtes de la ville, les Coralies dès 1989, avec une bandas qui animait les rues du centre ville et même une guinguette sur les bords de Marne la dernière année. Et cela a bien fonctionné du reste, car le public venait aux matches le dimanche, ce qui n’était pas le cas en 1984.
On n’avait pas grand chose en retour, jamais de subvention majorée. La ville profitait de ces résultats en communiquant sur la bonne santé du sport à Lagny mais sans contre-partie. Du moins c’est comme cela que je l’ai ressenti.
Et puis mon but était atteint pour moi. Quand je suis arrivé en 84 en troisième série, j’avais dit « on montera en fédérale 3 », comme Coulommiers à l’époque. Au bout de dix ans on avait gravi tous les échelons, en tombant une première fois contre Pont-Audemer en 1991. On a raté le match à la maison parce qu’on était mal préparé. Et au retour on s’est fait battre parce qu’ils étaient chez eux avec un public : ils avaient réussi à mobiliser une ville.
On s’est requalifié une deuxième fois en 1994 mais cette fois on a pas eu de chance au tirage. Cela s’est joué bêtement lors de la poule qualificative, battu à Saint-Germain-en-Laye par une pénalité d’écart. En gagnant, St-Germain joua les Flandres et gagna par 50 points... Nous, on termine 6e et on tombe contre le champion des Alpes, Annemasse. On sera battu à Lagny (14-35) mais on ira gagné à Annemasse (23-18) avec un essai de Varoqueaux dans les arrêts de jeu. Résultat insuffisant pour accéder à la Fédérale.
A partir de là, j’avais rempli ma mission puisqu’on avait tapé deux fois sur les portes de la Fédérale. Alors je me suis remis en cause en me disant que peut-être ma méthode n’était pas la bonne. Je suis parti à Noisy-le-Grand puisque je connaissais des gens du rugby de Noisy par l’intermédiaire du Métro. Et l’année où je suis arrivé à Noisy, Noisy est monté en Fédérale. Quant à Lagny, échouant contre Dreux en 1995 et L’Aigle en 96, il monte en Fédérale deux ans après en gagnant contre Petit-Couronne en 97.

Ton meilleur souvenir à Lagny ?
Mon meilleur souvenir, c’est la victoire contre Dampniat en quart de finale du championnat de France 3e série en 1985. Au delà du résultat, c’est la manière dont c’est arrivé qui est marquante. On était mené à dix minutes de la fin sous une pluie dense et c’est Yannick Le Moteux qui marque un essai. On gagne alors que nos adversaires étaient assez coriaces. C’est ce genre de match à suspense qui fait de bons souvenirs, pas les matches gagnés (ou perdus) 23 à 0. On le voit d’ailleurs à la façon dont les joueurs ont laissé éclater leur joie au coup de sifflet final.

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1985-05-17 - Dampniat-Lagny
De gauche à droite, Frédéric Vivié (derrière le bras de Laurent), Laurent Blond (poing levé), J.-Claude Cadelle, Pierre Bonnard, Lionel Vandenbossche (derrière, le poing levé), Christian Billerach (caché sous sa parka verte), Dominique Belloche, ..., Stéphane Bésana, Claude Baroin, Thierry Vaysse (avec la casquette), et Gilles Savouret (de dos).

Quelle activité aujourd’hui.
A Noisy, j’ai recommencé la même expérience qu’à Lagny en entraînant une dizaine d’années les seniors et en étant président du club 3 ans. Maintenant, j’entraîne les cadets et je fais un peu office de directeur sportif. On a de très bonnes relations avec Lagny et le président Laurent Zimmermann puisqu’on fait régulièrement des matches cadets. D’ailleurs un match amical senior devrait avoir lieu à la mi-janvier (interview faite en déc. 2013, ndlr). Un match de reprise qui devrait être intéressant et équilibré : Noisy est très mal classé en Honneur et Lagny marche bien en Promotion.

Ton regard sur le rugby actuellement.
Oui, le rugby a évolué mais à notre niveau régional, il reste toujours le même. Certes, les mêlées ne sont plus disputées comme à l’époque mais les zones de combats se sont déplacées sur les rucks, avec des joueurs qui arrivent avec de la vitesse même à notre niveau. Le combat s’est déplacé mais cela n’a pas révolutionné le rugby qu’on pratiquait. On est toujours aussi maladroit, on fait toujours aussi peu de temps de jeu. Seule, l’évolution des règles en touche avec le lift a apporté une propreté dans ce secteur de jeu qu’il n’y avait pas avant. C’est un changement important. Mais nous on reste toujours sur un rugby qui repose sur une condition physique, une amitié et une adaptation aux ressources des joueurs. Donc pour moi, cela n’a pas changé fondamentalement.
Aujourd’hui, si le jeu n’a pas beaucoup bougé à notre niveau, les mentalités, elles, ont beaucoup changées. Vu la difficulté de la vie, les joueurs sont beaucoup plus individualistes, surtout chez les jeunes. Cela vient des parents. Contrairement à ce qu’on a connu avec les gens qui participaient à la vie du club. Il n’y avait pas que les joueurs, il y avait également les familles. Le club, c’était un tout. Aujourd’hui, en cadets ou juniors à Noisy tout du moins, les familles ne s’intéressent pas du tout au rugby. L’école de rugby, c’est une garderie pour les parents. Malgré tout, ce sont toujours des parents de joueurs qui entraînent les petits.
Après il y a aussi des problèmes de budget. Les gens ont de plus en plus de mal à être bénévoles sur l’ensemble d’une saison. Maintenant, pour avoir des gens sérieux, même chez les joueurs, il faut les intéresser financièrement. C’est là où le rugby a terriblement évolué. L’apport du professionnalisme dans le top 14 donne une très mauvaise image de marque du rugby à mon avis chez les jeunes. Nous, on ne pratiquait pas ce jeu-là. Il est difficile de convaincre les mères de famille de nous laisser les gamins parce que ça devient un sport violent. Dans le top 14, ce sont des masses qui se rentrent dedans à pleine vitesse, des joueurs de 125 kg, surgonflés, des gladiateurs. Ce sont les jeux du cirque. Au nord de la Loire, dans des villes qui n’ont pas une culture spécialement rugby (peut-être moins à Lagny dont le club est centenaire), à Noisy ou à Chelles, cela a du mal à passer. En plus ce sont des villes avec une population aux origines très diverses venant d’Asie, d’Afrique, dont les parents ne connaissent pas le rugby. Difficiles de les convaincre de nous confier leurs enfants surtout quand ils voient les images à la télé : ils ne comprennent pas. Cela dit, cela a toujours été dur d’avoir des jeunes. A Lagny, où il y a maintenant une bonne école de rugby, cela n’a pas toujours été le cas. On a longtemps galéré avec Beauchet, Coger etc. pour avoir des cadets et des juniors. Cela dit, avec une population qui augmente fortement autour de Disney, et une agglomération qui s’étend maintenant de Lagny à Serris, les perspectives de développement du rugby pour l’A.S.L. semblent favorables.


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