Introduction de F. Humbert, de Rugby-Pioneers :
Sportif, journaliste et rédacteur de rugby, E.H.D.Sewell a écrit en 1907 le meilleur article en anglais (qui a dit le seul...?), sur l’histoire du début du rugby français que j’ai jamais lu.
Quand Sewell écrit cette merveilleuse « Entente Cordiale Sportive », illustrée par Charles Ambrose, la France ne fait partie de la scène internationale du Rugby que depuis deux ans (trois matches à Paris contre la Nouvelle Zélande, l’Angleterre et l’Afrique du Sud - pas encore de test match - et un match à Richmond contre l’Angleterre). Le traité de l’Entente cordiale qui renforce les liens politiques et diplomatiques entre l’Angleterre et la France (après près de mille ans d’antagonisme pur et simple...), signé en 1904, n’est pas beaucoup plus ancien ...
Sur 8 pages, Sewell explique et commente le développement du rugby à Paris au début des années 1890 sous la direction de l’USFSA de Coubertin, la montée de Bordeaux en tant que centre provincial de premier plan et l’apparition de l’équipe française au niveau international. Il dépeint aussi beaucoup de mes joueurs préférés et officiels de l’époque (da Silva Paranhos, Lane, Muhr ou Louis Dedet « the prophet Daniel of French Rugger »...) et donne des perspectives intéressantes pour l’avenir du rugby français. Plein d’esprit britannique, bien sûr !
Frédéric Humbert
L’entente Cordiale Sportive
Par E. H. D. SEWELL (C.B. Fry’s Magazine - 1907)
Illustré par Charles Ambrose
GARE à toi.
Tous les rugbymen qui ont une expérience du rugby français savent que la suprématie du rugby anglais n’est plus seulement menacée au nord et à l’ouest, mais aussi dans le sud immédiat. Bref, les Français n’ont pas tant d’années à attendre avant que leur niveau de jeu n’atteigne le nôtre.
Alors, méfiez-vous !
Les Français perdent avec tant de vitesse et de vie, comment seront-ils quand ils gagneront ?
Un Français, que je suis très honoré de pouvoir compter parmi mes amis, et qui a joué à ce jeu depuis 1893 et qui le joue encore, m’a donné, lors d’une récente visite à Paris, l’opinion suivante franche et honnête du Football Rugby Français :
- Quand chaque homme jouera à sa place, et fera de son mieux pour combiner avec ses compagnons, nous serons des adversaires très dangereux. Nous avons le sprint, la vitesse et la force nécessaires pour le football, mais nous jouons trop, pour nous-même (pour ne pas dire pour la galerie). Nous voulons pratiquer, nous voulons de bonnes leçons comme celles données par l’Angleterre, l’Afrique du Sud ou la Nouvelle-Zélande. Quand nous aurons décidé d’apprendre le football comme une leçon pour essayer et essayer à nouveau ce que nous ne faisons pas parfaitement bien, jusqu’à ce que nous le fassions ; peut-être une mêlée, une ligne de touche, ou une passe ; quand nous nous seront entraînés comme le font les Gallois, et que nous aurons commencé depuis le début, quand nous nous aurons mis en tête cette devise : « Un pour l’équipe », quand, enfin, quinze hommes intelligents auront été entraînés ensemble dans cet état d’esprit, alors, et seulement alors, nous aurons un vrai quinze pour s’opposer à l’Angleterre et nous permettre quelque espoir de succès.
Je souhaite que mes lecteurs aient vu la ferveur et le sérieux de l’orateur, qui frappe indubitablement le clou droit sur la tête quand il parle de « chaque homme qui joue à sa place ». Sur la tombe du rugby français, s’il devait mourir aujourd’hui, serait écrit ces mots : « Énergie mal dirigée. »
LE JEU EN FRANCE DEPUIS SON BERCEAU
- 1894 - Racing Club
- L’équipe de football-rugby du Racing-Club à Oxford
(Clarendon Hotel — 3 février 1894). Extrait du livre de Coubertin « Une campagne de vingt-et-un ans ».
Permettez-moi quelques lignes sur l’origine, la montée et l’état actuel du jeu.
L’U.S.F.S.A. a été formé en 1887, après le retour de Londres de MM. Coubertin et St. Clair, avec les règles de plusieurs jeux anglais, y compris ceux régissant le football Rugby.
Avant cette année, le football avait consisté en un mélange de Rugger et de Soccer avec des règles très élastiques [1]. Malgré le caractère insatisfaisant de ce type de jeu bâtard, le Racing Club de France, fondé en 1882, et le Stade Français, fondé en 1883, s’associent en 1885 pour le jouer sur le terrain de Bagatelle au Bois de Boulogne.
Quatre ans après la formation de l’U.S.F.S.A., qui est l’équivalent de la Rugby Union en France, soit en 1891, le premier club anglais à venir en France, le Rosslyn Park Football Club, joue un match à Paris. Trois saisons plus tard, une équipe combinée du R.C.F. et du S.F. traverse la Manche pour jouer contre Park House à Maze Hill.
En 1893, l’institution d’un championnat de France suscita peu d’intérêt, parce qu’il était confiné à Paris, et que deux équipes seulement participaient, à savoir, le R.C.F. et le S.F. Cependant, des problèmes surgirent bientôt dans les rangs du R.C.F. ; une scission se produisit en 1895, et le Club Olympique fut non seulement fondé, mais gagna le championnat cette saison-là, 1895-96.
Ce fut aussi une saison remarquable, puisque les clubs de Bordeaux et de Lyon furent fondés cette année-là, mais aucun club provincial n’entra dans le championnat avant 1897. Bordeaux et Lyon sont maintenant deux bastions du jeu, dans une condition si florissante que l’un ou l’autre de ces clubs ont des affluences de six à dix mille spectateurs pour un match de club ordinaire ! Comment peut-on comparer à Blackheath, le plus ancien club de rugby existant ?
Le jeu de rugby a pris racine à la fois dans le centre, le sud et le sud-ouest de la France, et Bordeaux ; les actuels détenteurs du titre, remportèrent le Championnat de France en 1904, 1905 et 1906.
Puis, en 1895, se forme un autre club à Paris, le Club Universitaire de France, un club dont les membres font honneur au nom qu’il porte, qui sera bientôt mis en évidence dans la lutte pour le championnat.
En outre, les principaux clubs provinciaux sont le Havre Athletic Club, le Véto Sport Toulousain et le Stade Olympique des Étudiants de Toulouse.
Le S.O.E.T. en 1903 battit le Stade Bordelais, et n’a été battu en finale du championnat que par le Stade Français. A Bordeaux il y a aussi le Sport Athlétique Bordelais. A Paris, les clubs mineurs sont l’Association Sportive Française et le Cercle Amical.
- 1899 - Racing Club de France
- En décembre 1899 à Paris (contre le London Irish FC).
Debout, de gauche à droite : JOBERT, ERTZBISHOFF, Paul MURET, Emile SARRADE, LEFÈVRE-HUBERT, GOUDARD, Vladimir AÏTOFF, Alexandre PHARAMOND, LEFÈVRE, Jean COLLAS, Robert BERNSTEIN, Charles GONDOUIN.
Assis : Etienne LESAGE, CHASTANIÉ, Frantz REICHEL (cap), Henri TAUZIN, Cyril RUTHERFORD.
CHAMPIONS 1892-1906
Depuis sa création, le championnat fut remporté par :
- 1892 Racing Club de France.
- 1893 Stade Français.
- 1894 Stade Français.
- 1895 Stade Français.
- 1896 Olympique.
- 1897 Stade Français.
- 1898 Stade Français
- 1899 Stade Bordelais Université Club.
- 1900 Racing Club de France.
- 1901 Stade Français.
- 1902 Racing Club de France.
- 1903 Stade Français.
- 1904 Stade Bordelais Université Club.
- 1905 Stade Bordelais Université Club.
- 1906 Stade Bordelais Université Club.
Ainsi la plupart des grands clubs se sont partagé les honneurs, favorisant ainsi le bien du jeu et sa promotion.
- 1899 - Stade français
- Debout, de gauche à droite : Truppel, Robert de Brun, Joseph Olivier, Garcet de Vauresmont (prés. commission rugby), Louis Dedet, Dumaine, Raymond Bellencourt, Ch. Bernard.
Assis : Henri Amand, Chenu, Maurice Moulu (cap), Félix Herbert, Paulo da Silva Paranhos.
Au sol : Robert Blanchard, Auguste Giroux, Edmond Mamelle.
LES COULEURS DE CLUB
À PARIS. - Racing : cerceaux blancs et bleu clair. Stade Français : Bleu marine, col rouge. Sporting : Cerceaux larges noirs et blancs. Cercle Amical : Bleu ciel. L’Association Sportive Française : Maillots à carreaux rouges et bleus.
DANS LES PROVINCES - Stade Bordelais : Blanc, avec les initiales du club brodées. Football Club de Lyon : Blanc, avec lion sur l’écusson, et lettres F.C.L. Havre Athletic : Bleu marine, avec des cerceaux bleu ciel. Sport Athlétique Bordelais : Rouge et blanc, larges cerceaux.
QUINZE INTERNATIONAL FRANÇAIS : Maillot bleu ciel, short blanc, bas rouges.
Les couleurs reflètent généralement le goût national pour les nuances plus claires. Il y a un manque d’uniformité dans les shorts et les bas de tous sauf du côté international français. C’est dommage pour l’image des équipes de clubs français sur le terrain, et c’est un point sur lequel leur administration vigoureuse insistera sûrement avant longtemps.
- p.18
Lacassagne : Individualisme -
un peu trop de cela pour un demi -
et la balle est mal exploitée.
Mais c’est un joueur de valeur,
sauf pour les jambes.
Maintenant concernant les joueurs, les idoles du jeu dans la belle France, car soyons sûrs qu’une telle race impulsive ne soit pas indifférente dans le domaine du culte des héros.
En effet, je peux témoigner du contraire, car je me souviens encore de l’impression de sincérité dans la voix de la petite dame élégante qui, regardant avec une admiration évidente l’un des plus beaux spécimens de la virilité britannique qui orne maintenant nos terrains jouant pour ma propre équipe à Paris, murmura à son compagnon : « Il est très chic ! » Et donc, le rugby français ne manque pas « d’hommes qui l’ont fait ».
Parmi ceux-ci, le premier est L. Dedet, un attaquant du Stade Français, qui fut pendant dix ou douze ans le pilier de son pack, the « prophet » Daniel of French Rugger. Maintenant un très bon arbitre, il a un don pour l’enseignement du jeu ; et partout où le Rugbyman Français parlent « boutique », le nom de Dedet apparaît toujours. Très populaire, il est le meilleur capitaine et entraîneur que le jeu ait connu là-bas.
Da Silva, Stade Français, le meilleur arrière jamais vu en France. Il n’a jamais manqué son homme. En 1891, il a joué contre le Manningham F.C., et ils lui ont offert de temps en temps une place régulière dans leur équipe.
Communeau, l’un des élèves de Dedet au Collège Albert le Grand, est aujourd’hui le meilleur attaquant du Stade Français. Capitaine de l’équipe de France cette saison à Richmond. Très rapide, et n’esquivant jamais le travail en mêlée.
A. H. Muhr, capitaine du Racing Club et grand attaquant. Il marqua des essais contre l’Angleterre, la Nouvelle-Zélande et Cardiff l’année dernière, et l’Angleterre cette année. Soutient ses trois quarts mieux qu’aucun autre attaquant en France. D’où les essais. Il apprit le jeu avec le Racing Club.
Lacassagne, Stade Bordelais, le demi le plus impétueux de France. Perd en valeur de son côté en essayant de faire trop lui-même, quand le football correct demande de passer.
Theuriet, Sporting Club, le meilleur athlète complet de France. Champion de cross-country de son collège, fin boxeur, patineur et escrimeur, il a parcouru sept miles et demi dans la Seine en trois heures et quart. Joue Soccer et Rugger - préfère Rugger. Un bon travailleur en mêlée, qui ouvre le jeu magnifiquement, et pour cette seule raison aurait dû jouer pour la France avant cela.
G. Lane, le capitaine du Racing Club l’année dernière. L’un des plus beaux trois quarts que le jeu en France ait connu. Très rapide, dangereux par ses crochets, et plaqueur mortel. A appris le jeu au Collège Chaptal, à Paris.
Maclos, Stade Français, butta trois buts à Richmond. Un trois-quart centre formé au collège de Chartres. Un joueur très fidèle à son club, et qui est ce que nous appelons en Angleterre comme « l’un des meilleurs ».
C. Couroux, Sporting Club, dont il est, avec son capitaine populaire, F. Reichel, la vie et l’âme. Joue cinq huitièmes – le S.C.U.F. jouant selon les positons de la Nouvelle-Zélande excepté pour le flanker. Il a commencé en 1893 au Collège Janson, à Paris, d’où il a rejoint la Ligue Athlétique, maintenant dissoute. Joua avant, arrière, et joua selon cette dernière position en 1899 pour la France contre les London Scottish. Capitaine de l’Union Sportive Parisienne en 1903 et 1904, quand ce club termina troisième du championnat derrière le Stade Français, et le Racing Club. A rejoint le S.C.U.F. la saison dernière. Un joueur fringant dont le point fort est la combinaison avec ses ailes. Connaît le jeu à fond, et si la moitié des Français suivaient son exemple – eh bien ! alors. Croit en lui et soit à la hauteur, « Le Scuf avant tous ».
Frantz Reichel, capitaine du S.C.U.F., a été joueur pas moins de dix-sept ans, et est toujours l’un des meilleurs demi de mêlée. Capitaine de la première équipe de France en Angleterre. A commencé au Collège Lakanal. A joué pour le Racing Club avant de rejoindre le S.C.U.F. Le journaliste sportif le plus intelligent et l’un des meilleurs, au sens ordinaire du terme, à Paris. Est membre du personnel du Figaro et membre de l’Académie des Sports. Était sur la trajectoire du champion, et est un bon boxeur et escrimeur.
On pourrait continuer indéfiniment à détailler les « points » dans le caractère footballistique des joueurs français les plus connus, mais je dois arrêter.
Les exigences de l’espace me forcent à ne citer que des individualités aussi brillantes qu’Isaac, l’arrière français, qui a été si bien assisté par mon ami M. Ambrose ; Combes, l’arrière qui plaqua comme un démon dans le match sud-africain ; Denance, l’arrière de la SCUF, qui a arrêté Basil Maclear alors que ce joueur n’avait jamais été arrêté en pleine course ; Chartier, du SCUF, un butteur capital et un bon demi attaquant, qui, seul parmi les Français que j’ai vu , je pensais faible en défense ; Varvier, jadis de Lyon F.C., mais maintenant au Racing Club, qu’on aurait vu à Richmond, aurait-il pu entreprendre le voyage ? Dufourcq, du Stade Bordelais, attaquant international ; Moisson, du Sporting Club, un attaquant puissant qui était réserviste pour le match anglais ; Poirrier, ancien capitaine du Racing, et maintenant l’un des attaquants internationaux du Scuf ; Verges, du Stade Français, attaquant colonial, des plus forts ; Bavozet, un arrière ou trois quarts de Lyon, un club qui doit tant aux frères Vuillermet, qui, hélas ! se sont retirés, comme nous devons tous le faire un jour, mais qui jouent occasionnellement, l’esprit étant toujours aussi disposé que jamais. Ensuite, il y a Perrens, un avant et capitaine du Stade Olympique des Étudiants de Toulouse, et Mayssonié, un demi du même club qui, je l’apprends, serait un international s’il appartenait à un club de Paris ; P. Laporte, le skipper très populaire de l’équipe de Bordeaux, où un écossais, J.S. Shearer, a beaucoup fait pour le jeu – il est maintenant le président populaire du S.B.U.C. – et Gommès, également de Bordeaux, capitaine du Racing Club il y a deux ans ; de même Lewis, un trois-quart, et Crichton, arrière, tous deux Anglais, du Havre Athletic, et tous les deux joueurs de classe.
Tous ces hommes ont aidé le jeu en France et lui ont permis de prendre sa place dans le schéma général de L’Entente Cordiale Sportive.
- 1907 - Equipe de France
- A Richmond Park contre l’Angleterre.
Debout : Gaston Lane (RCF), A. Poirrier (SCUF), Moisson (SCUF - remplaçant), Paul Mauriat (FC Lyon), Marc Giacardy (SBUC), André Verges (SF), Charles Beaurin-Gressier (SF).
Assis : Paul Maclos (SF), Jacques Dufourcq (SBUC), Charles Vareilles (SF), Marcel Communeau (SF, cap.), Allan Muhr (RCF), Albert Hubert (ASF), Henri Isaac (RCF).
Au sol : Henri Lacassagne (SBUC), Henri Martin (SBUC).
FINANCE
Il est à noter que le Stade Bordelais Université Club est plus riche que n’importe quel clubs du pays, et cela pour tous les sports athlétiques – qu’accueillent le Racing et le Stade Français – les abonnements des membres de l’année dernière, à £ 2 8s. chacun, s’élevaient à : R.C.F., £ 2,000 ; S.F., £ 760.
Dernièrement, dans les districts du nord-ouest, le consul américain, M. Jackson, qui dépensa lui-même £ 4oo l’année dernière pour le jeu, a fait énormément pour favoriser et encourager le jeu.
L’U.S.F.S.A. n’aurait couru aucun risque financier sur les tournées de Nouvelle-Zélande et d’Afrique du Sud, de sorte que le Racing et le Stade combinèrent leurs forces ; et par conséquent il y eu un beau bilan à diviser par la suite. Cela en dit long sur l’enthousiasme pour le jeu à Paris, pour lequel M. Rutherford a travaillé inlassablement. L’état de Rugby à Paris est d’autant plus remarquable si l’on considère que dans cette seule ville, il y a entre trente et quarante clubs de football Association. Le rugby fait plus appel à l’esprit national, mais le code rival manque plutôt d’un homme fort à sa tête.
LES CHAMPIONS ACTUELS
- p.20
Morel : L’aile gauche du SCUF.
Pas aussi fragile qu’il n’y parait.
Caroux : Trois quart très renommé.
L’un des meilleur à la barre.
Le Stade Bordelais Université Club mérite certainement une place dans cet article.
Bordeaux, célèbre pour ses vins, a toujours pris une place prépondérante en France pour les exercices physiques et les natifs de Bordeaux, étant « de bons sportifs », il n’était pas étonnant que le mouvement en faveur de l’athlétisme en plein air, qui a débuté à Paris en 1887-1888, devait bientôt être repris par les Bordelais.
Le Stade Bordelais, aujourd’hui le Stade Bordelais Université Club, voit le jour en 1889, d’abord en tant que société de sport amateur, pratiquant principalement la course à pied dans les espaces en plein air de la ville ; mais quand on a commencé à parler du rugby en France, ils n’ont pas tardé à s’en emparer. Sur la suggestion de M. James Shearer, leur président actuel (un Écossais engagé là-bas dans le transport maritime), aidé par certains des plus jeunes résidents britanniques, les premières leçons du jeu ont été données en novembre 1891.
Les jeunes Bordelais, d’une nature très ardente, se mirent bientôt au jeu et, se trouvant encouragés par un groupe de jeunes Britanniques, ils résolurent de se lancer devant un public ; ils ont donc invité le Stade Français à venir les rencontrer lors d’un match amical en mai 1892. Malheureusement, le temps était très mauvais et les Bordelais n’ont pas seulement été battus, mais ils ont dû faire face à une lourde dette financière. Cependant, le rugby « était arrivé » en province et le Club Bordelais Université occupe depuis, une, sinon la, place en tête.
Après ces premiers efforts est venue la réaction inévitable. Le progrès était un peu lent, faute de terrains convenables. Les difficultés financières surmontées, ils ont été bientôt, cependant, capables de se rétablir. Alors la volonté des autres clubs pour que le district leur donne une formation joua en leur défaveur, et les empêcha de revenir. Cependant, en 1897, ils lancent une campagne en vue d’ouvrir le championnat de France de rugby aux clubs provinciaux. Ayant réussi, ils y sont entrés, en 1898, et l’ont emporté en 1899. Depuis lors, le S.B.U.C. participa à la finale chaque année, sauf une fois, et sur les neuf fois qu’ils ont participé, ils l’ont emporté cinq fois, y compris les trois dernières années consécutivement.
La victoire en championnat a sans doute donné une grande impulsion au jeu dans les provinces, plus particulièrement dans les districts du sud, qui maintenant, y compris Bordeaux et Toulouse, possèdent le plus grand nombre de clubs de rugby en France.
Le Stade Bordelais Université Club compte plus d’un millier de membres, dirige cinq équipes de Rugby et trois d’Association et, sur ses immenses terrains et dans ses vestiaires, peuvent faire jouer et héberger pas moins de six clubs visiteurs à la fois. Il est assez habituel d’avoir quatre ou cinq matches en même temps. Le terrain principal possède une tribune couverte de 2 500 personnes, et il n’est pas rare de voir une affluence de cinq à six mille personnes presque chaque dimanche regarder le Stade Bordelais et ses équipes visiteuses.
Le public bordelais a adopté le jeu de rugby comme le proverbial canard l’eau, et on peut toujours compter dessus. Ils sont en effet un groupe très sportif. Le Stade Bordelais, pour poursuivre sa vaste organisation, dépense entre soixante et soixante-dix mille francs par an pour le seul football de rugby, en plus de ce qu’il dépense pour d’autres sports, tels que le tennis, l’athlétisme et le jeu d’Association.
Un joueur londonien bien connu qui a visité Bordeaux la saison dernière m’écrit :
Vous n’avez aucune idée de l’enthousiasme qui prévaut à Bordeaux sur le jeu. Environ 450 000 personnes sont venues nous rencontrer, la police a reçu l’ordre de ne pas interférer avec nous, et à notre retour, la moitié de l’équipe au moins fut « présidée » dans la gare jusqu’au train. Ils sont le groupe le plus sportif que j’ai jamais rencontré.
Puis-je proposer la substitution du mot Sporting à Stade dans le titre de ce club ?
- 1906 - Stade Bordelais UC
- Debout, de gauche à droite : Louis Mulot, Marcel Laffitte, Fourcade, Hélier Thil, Pascal Laporte (cap), Jacques Gommès, Herman Gross-Droz, Jacques Duffourcq, Maurice Bruneau, Maurice Leuvielle.
Assis : Mazières, Robert Blanchard, Henri Martin, Alphonse Massé, Henri Lacassagne.
LE JEU PEUT-IL ÊTRE AMÉLIORÉ ? - OUI !
Quelques notes sur comment le jeu en France peut facilement être amélioré, et que j’ai rassemblées.
Il faut d’abord un peu plus de Fraternité, qui est le troisième mot de la devise nationale. La jalousie inter-club de mauvaise aloi fera toujours obstacle à tout match. Bannissez-le, et laissez la bonne rivalité saine prendre sa place. La jalousie existe, à Paris à chaque rencontre. Ce problème vient en grande partie des hommes les plus influents des différents clubs.
Pour ce qui est de l’amélioration du jeu réel, le meilleur des plans est maintenant suivi, à savoir des déplacements répétés des équipes de ce pays. Il n’y a pas d’espoir pour le football français s’il ne repose que sur des améliorations, ou même sur des matchs entre ses propres joueurs. Ils sont actuellement le plus enthousiaste groupe de sportifs imaginables, mais trop d’enthousiasme peut amener à se perdre dans des directions erronées. Je vais donner un exemple. Dans l’affaire France c. Afrique du Sud, ainsi que dans le Sporting Club c. mon équipe, j’ai remarqué à plusieurs reprises que les avants français s’échappaient de la touche ou de la mêlée en masse avec le ballon à leurs pieds. Tout était réuni pour une attaque dangereuse des avants. Cela a été rapidement gaspillé, en raison des cris simultanés de presque tous les arrières, « Ramasse-le, ramasse-le » – l’idée étant, bien sûr, pour les avants de ramasser et de passer à l’arrière. Cela n’a pas été tenté une fois mais toujours. En conséquence, il y avait le retard habituel à ramasser, à tâtonner, et la chance en or avait disparu. Mauvais football, mes amis !
Ou encore, les trois quarts, les ailes en particulier, se mettent habituellement hors de position. Par conséquent, la tactique du coup de pied croisé trouve l’aile de l’adversaire absolument non marquée.
Et encore, la feinte de passe bat toujours les Français. Compte tenu de leur bon rythme et de leur capacité de plaquage tenace, il était très remarquable de voir comment ils attendaient l’homme qui semblait susceptible d’attraper la balle, et ne parvenaient pas à prendre l’homme en possession de la balle.
J’ai remarqué un joueur prenant le coup de pied au but, suite à un essai, sans faire une « place » pour le ballon. Il était simplement tenu debout entre ses premiers doigts par le « placeur » ! D’où les joueurs français ont-ils obtenu cette méthode ?
Le Français en possession allait généralement droit devant lui, mais ne pensait pas, sinon trop tard, à faire la passe. Il était généralement supplier de divers côtés pour passer, une mauvaise habitude de la part des hommes libres du ballon qui doit être arrêtée immédiatement. Nous souffrons de réclamation dans ce pays, mais nous sommes maintenant convalescents en comparaison.
L’homme avec la balle apparaissait obsédé par l’idée que lui seul pouvait et devait gagner le match. Ainsi, il continua à se débattre longtemps après que sa cause fut tout à fait désespérée.
Tout cet individualisme acharné dûment détourné dans les bonnes voies doit faire du rugby français un dangereux rival, si, comme je le pense, le désir d’apprendre est là.
Je dis cela délibérément, car je ne conçois pas d’où les Français s’emparent de la méthode du coup de pied que j’ai critiquée, ni de l’idée que les attaquants, dès qu’ils se sont échappé avec la balle aux pieds, la ramassent. Ils ont peut-être vu nos joueurs se rendre coupables d’un tel mauvais jugement après avoir dribblé l’arrière, mais rarement, voire jamais, dans les conditions que j’ai indiquées.
Je soupçonne que le bon jeu à la main des avants néo-zélandais, une fois que la balle était vraiment perdue – une chose très différente – a pu donner aux Français l’idée que pour les avants, la prise en main du ballon dans toutes les circonstances correspond au football correct.
Pour le reste, cependant, nous accueillons cordialement la force montante dans le jeu de Rugby. Nous, de ce côté de la Manche, ne possédons pas de meilleurs sportifs que la majorité des hommes de rugby français. Il fut un temps où, entre autres choses, un certain Moulin Rouge sur les pentes de Montmartre aurait pu attirer des hommes soi-disant Rugger, autant que la chance d’un bon jeu, pour faire le voyage à Paris. Mais aujourd’hui, grâce à la Rugby Union, c’est terminé. Et, bien qu’il n’y ait pas de meilleurs hommes au monde pour faire les honneurs après une rude épreuve au Parc des Princes à Auteuil, ou ailleurs sur le sol français, que les membres des équipes de rugbymen français, de nos jours nos joueurs n’ont plus à aller jouer au football avec à la fois les yeux fixés sur les réjouissances d’après le match, et dans une sorte d’esprit de jeu. Ils vont jouer et jouer dur.
Malheureusement pour les équipes anglaises en France, la plupart de nos joueurs ont eu un match la veille, suivi d’un voyage nocturne de huit à quatorze heures. Ainsi, ils ne sont jamais aussi frais qu’ils pourraient l’être. Ce fait devrait toujours être noté par nos critiques bienveillants dans la presse sportive française, car certains d’entre eux sont susceptibles de se méprendre sur la réalité pour quelque chose de tout à fait différent.
Que le rugbyman français prenne de l’espoir – courage, mes braves ! – de l’expérience de l’Afrique du Sud dans le jeu. Il y a quinze ans, une équipe anglaise au Cap s’imposait de façon évidente. Cette saison, les positions ont été inversées. Qui sait, en 1917, par combien d’essais le Quinze Français va battre le Quinze Anglais sur le terrain de la Rugby Union à Londres ?
Les hommes d’État peuvent être dépassés par l’exubérance de leur propre discours, mais ils ne feront jamais autant de bien au lien d’union entre les deux pays (ce que le rugby à XV cimente pour sa part) comme l’Entente Cordiale du Rugby.
Jusqu’à ces dernières années, le pouvoir du sport n’avait jamais été utilisé ainsi. Mais au cours des deux ou trois dernières années, le Premier Sportif en Europe s’est beaucoup intéressé à l’Entente, et les hommes de Rugby n’auront probablement pas besoin de coercition pour suivre son grand exemple. Les gens qui n’ont jamais eu la chance de voir les coulisses de L’Entente Cordiale Sportive n’ont tout simplement aucune idée du grand sentiment qui existe, et qui mène maintenant sûrement au meilleur de tous les États, une amitié sportive entre les athlètes des deux nations.